Culture laïque et laïcité culturelle #2

Publié le par Jean-Claude Pompougnac

Dans le premier des billets que j'espère continuer à publier ici sous le titre Culture laïque et laïcité culturelle, j'évoquais l'une des multiples occurrences dans les discours des responsables politiques des arts et de la culture où se trouvent articulées laïcité et valeurs spirituelles. Et ce, antérieurement au souffle inspiré d'André Malraux au sujet de l'art et du sacré..

Lorsque « les Beaux arts » étaient encore sous la dépendance du ministère de l’Éducation nationale, la pionnière de la décentralisation théâtrale exprimait déjà clairement une approche laïque et , en même temps, spirituelle.

 

Comment se fait-il que nous ne construisons pas comme nos voisins des théâtres et des salles de concert ? Dans quels autres temples une société laïque peut-elle avoir une vie spirituelle de communauté ? (...)

Notre régime doit prendre conscience qu'une démocratie laïque, si elle est fondée sur des valeurs spirituelles, est moralement obligée d'avoir une politique artistique, non pour la gloire du Dieu ou du souverain, comme sous l'ancien régime, mais pour procurer à la nation les formes spirituelles dont elle a besoin.

Jeanne Laurent La République et les beaux arts, Julliard-1955

 

Mais avant de continuer, je dois rappeler que mon point de vue sur la démocratie, la laïcité, « la culture », l'éducation artistique, la diversité et les droits culturels ne s'impose à qui que soit. Il ne s'agit nullement de convaincre, ni même de persuader mais de proposer matière à penser par soi-même à partir de contributions plurielles voire dissonantes.

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On peut être immergé dans une culture laïque au sens anthropologique anglo-saxon, et dépourvu de toute culture laïque au sens classique français.

Emile Poulat Pour une véritable culture laïque

Sur « la laïcité », ou même « la Laïcité » -cette entité-, les médias ne tarissent pas, la rhétorique coule à flot, colloques et commissions se succèdent sans relâche. Pendant des siècles clerc et laïc ont fait système. Ce que nous mettons sous le mot laïcité commence et se définit par l'éclatement de ce système ecclésiastique et théologique, caractéristique de la chrétienté, tout au moins de la du catholicisme et de l’orthodoxie. Alors sont apparus ceux qui se professaient laïques, pionniers d’un nouveau régime de pensée et de société.

On peut décomposer ce mouvement en trois temps. Ce fut d'abord l'idée laïque -une utopie, comme l’idéal chrétien -, qui a élaboré un programme laïque- la laïcité républicaine-, auquel la III ème République a donné corps en votant, de 1880 à 1905, le bloc des « lois laïques ». L’application de ces lois selon les procédures usuelles a engendré le régime laïque qui nous régit tous et dans lequel nous baignons tous, citoyens français, résidentes étrangers et même sans-papiers. De l’idée première au régime actuel, la distance peut paraître considérable : le réalisme et ses compromis l’ont emporté sur l’idéalisme et ses ambitions. Les uns s'en désolent, les autres s’en réjouissent: preuve que la laïcité est aujourd’hui ce qui nous permet à tous de vivre ensemble sans résoudre aucun de nos différends, sans y prétendre et en se gardant de l’exiger.

 

Ce régime de laïcité s'impose à tous par sa triple force légale, administrative ou judiciaire, mais n'impose à personne la manière dont chacun peut librement, contradictoirement, entendre et se représenter cette laïcité. Le débat reste ouvert, tandis que le vie suit son cours.

Si le débat perdure et souvent s’enlise, c’est sans doute parce que l’ampleur des divergences et du contentieux ne facilitent pas la compréhension mutuelle. Et peut même dissuader de la rechercher.

(...)

À ces représentations antagonistes de l’autre s’ajoute une inculture laïque généralisée qui va de pair avec une inculture religieuse souvent dénoncée. Mais si la seconde commence à être perçue comme préoccupante, la première demeure encore largement inconsciente. Il est vrai que notre régime laïque est aussi complexe que subtil. En gros, chacun a bien son idée de la laïcité, et des faits -des exemples - pour la justifier ou la critiquer, mais elle reste pour l’essentiel dans le domaine de l’irréel, sans prise sur le réel que constitue ce régime.

(...)

On peut être immergé dans une culture laïque (ou laïcisée) au sens anthropologique anglo-saxon, et dépourvu de toute culture laïque, ou presque au sens classique français.

 

Pour une véritable culture laïque. 60 millions de conscience en liberté.

Contribution d’Émile Poulat au colloque La laïcité, une question en au présent. colloque organisé en décembre 2005 par la région Rhône-Alpes.

Publié en 2006, sous la direction de Jean Birnbaum et Frédéric Viguier aux éditions Cécile Défaut.

 

 

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La laïcité est une garantie d’oxygénation permanente parce qu’il y a toujours un espace autour de moi qui reste vide de ma croyance ou de celle de mon voisin.

Delphine Horvilleur

Rien ne nous apprend mieux la théologie que l’histoire ; on ne peut tout simplement pas comprendre sa religion si on ne comprend pas par quoi et par qui elle a été influencée, et pourquoi elle est le produit des temps et des espaces qu’elle a traversés. Quand on sera capables de raconter nos histoires religieuses à travers les influences qu’elles ont subies, on aura un outil formidable pour lutter contre le fondamentalisme religieux. Parce que ce qui colle à la peau de tous les fondamentalistes quels qu’ils soient, c’est qu’ils sont tous allergiques à l’histoire. Ils sont tous chronophobes, détestent tous l’idée que leur religion a pu évoluer, qu’elle a pu être influencée par d’autres, parce que cela va à l'encontre de leur obsession pour la pureté, la pureté des corps, la pureté des femmes, la pureté des pratiques, la pureté de leur histoire. Si vous commencez à leur expliquer à quel point leur religion est empreinte d’influences extérieures et conditionnée par un contexte, alors vous avez avec vous un outil extrêmement puissant de destruction de leur discours.

(...)

Beaucoup de gens ont l’impression qu’on est laïque ou religieux, qu’on est croyant ou pas croyant. C’est comme s’il fallait choisir entre la science et la religion, c’est absurde. Pour moi, la laïcité et l’attachement à une religion cohabitent parfaitement. Je reconnais à la laïcité la bénédiction de me permettre de vivre la religion telle que je la vis. Je me sens profondément attachée à la laïcité parce que pour moi, elle est un cadre qui permet qu’aucune conviction, aucune croyance et aucun dogme ne sature l’espace dans lequel je vis. La laïcité est une garantie d’oxygénation permanente parce qu’il y a toujours un espace autour de moi qui reste vide de ma croyance ou de celle de mon voisin. Pour beaucoup, et on en revient à l'appauvrissement de la pensée et du vocabulaire, la laïcité est devenue synonyme d’athéisme. Mais ça ne l’a jamais été.

Delphine Horvilleur : "La laïcité est devenue synonyme d’athéisme. Mais ça ne l’a jamais été"

© Marion Galy-Ramounot

 

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Là encore, quand bien même son histoire témoigne d’une modalité singulière de règlement de la question théologico-politique, elle [la laïcité] est un principe philosophique et politique et non un trait culturel. Nous ne la défendons pas parce qu’elle est française, mais parce qu’elle rend possible un équilibre précieux entre les libertés individuelles et les règles de vie collective.

Gilles Clavreul

La culture ne devient un enjeu qu’avec l’effacement progressif et inexorable de la référence religieuse, à laquelle les plus hardis des révolutionnaires, nota Quinet, n’ont pas osé toucher un siècle plutôt. Mais dans la France en plein bouleversement technique, économique, démographique de la fin du XIXème siècle, il devient urgent de donner à une République encore fragile et contestée une base sociale solide: si on sourit aujourd’hui de la forme naïve et franchement catéchuménale de la «morale de nos pères» prônée par Jules Ferry, il faut se rappeler que des intellectuels conséquents, comme le néo-kantien Charles Renouvier, ont auparavant jeté les bases d’une «morale laïque» et proposé à la République d’assumer le «pouvoir spirituel» en lieu et place de l’Église. Discours si puissant qu’il est difficilement entendu de nos jours: pourtant, il nous a faits.

(…)

Un dernier mot sur la laïcité. Là encore, quand bien même son histoire témoigne d’une modalité singulière de règlement de la question théologico-politique, elle est un principe philosophique et politique et non un trait culturel. Nous ne la défendons pas parce qu’elle est française, mais parce qu’elle rend possible un équilibre précieux entre les libertés individuelles et les règles de vie collective. En faire une spécialité française, c’est se résigner à ce qu’elle ne soit pas universalisable: ce n’est pas ce qu’attendent de nous les intellectuels et militants algériens, tunisiens, turcs ou iraniens qui envient notre laïcité. Ayons de l’ambition pour nos principes: ils sont plus grands que nous. Et le principe de laïcité nous intime - non pas de déchirer le palimpseste du récit français où le Texte catholique se laisse découvrir à chaque ligne ; mais de regarder avec un intérêt bienveillant et détaché toutes les écritures, pour écrire notre propre partition, librement.

Publié le 29/04/2021 sur FigaroVox

 

 

A SUIVRE

 

« Où plusieurs démonstrations sont donnée de cette thèse : la liberté de philosopher ne menace aucune piété véritable, ni la paix au sein de la communauté publique. Sa suppression, bien au contraire, entraînerait la ruine et de la paix et de toute piété ».

Baruch Spinoza.

Traité théologico-politique. Préambule

 

« Il devrait y avoir en toute constitution un centre de résistance contre le pouvoir prédominant et, par conséquent, dans une constitution démocratique un moyen de résistance contre la démocratie ».

John Stuart Mill, Considérations sur le gouvernement représentatif. (1861)

 

« La démocratie, cela ne consiste pas à s'unir, comme l'annoncent sans cesse les conservateurs attardés. C'est au contraire l'art de se diviser ».

Alfred Sauvy. « Le coq, l 'autruche et le bouc... émissaire (Grasset 1979), 'autruche et le bouc émissaire

 

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