Culture laïque et laïcité culturelle #4

Publié le par Jean-Claude Pompougnac

Au cœur de la diversité culturelle et de la multiplicité des appartenances de chaque individu singulier, les politiques publiques doivent créer pour tous les citoyens les conditions leur permettant de s'élever, de se libérer des conditionnements y compris les plus profondément intériorisés, ce qui constitue un appel à promouvoir ce que l'on pourrait nommer la laïcité culturelle.

Jean-Claude Pompougnac

Extrait d'une contribution (septembre 2017) aux travaux de l'Institut de coopération pour la culture.

La Cité des sens, le blog de Jean-Claude Pompougnac

 

L'avenir a une histoire.

Un possible chemin de traverse consisterait à rappeler les moments successifs où l’État s'est interrogé (ou s'est trouvé interrogé) sur ses impasses et la nécessaire « refondation » de sa politique culturelle. Dès avant le rapport de Jacques Rigaud «Pour une refondation de la politique culturelle » (1996), la mise en cause des dix premières années du Ministère de la Culture dans la déclaration de Villeurbanne en 1968 ; le nouveau référentiel du développement culturel (Jacques Duhamel et la déclaration d'Arc-et-Senans -colloque sur la Prospective du développement culturel -1972), etc. viennent ponctuer une longue histoire d'appels au renouveau.

En d'autre termes, on pourrait creuser cette piste : dans une démocratie, la légitimité de l’intervention du (des) pouvoir(s) dans les champs artistique et culturel ne va jamais de soi, doit sans cesse être réinterrogée... au même titre que la démocratie elle-même.

 « Je conçois la culture comme ce processus d’auto-création de l’homme par la culture, et j’essaie de travailler sur ce que cela signifie pour la démocratie. Il ne peut pas y avoir de projet de démocratie réelle s’il n’y a pas de place pour la culture et la création »

C Trautmann : Lumière sur l’Europe, in Culture publique, Opus 3, Sens et Tonka éd., 2005.

 

D'où un possible et salutaire salutaire pas de côté à l'égard des fausses évidences du « secteur culturel », la nécessaire rupture avec l'entre soi d'un « monde de la culture ».

Dans la même perspective, on peut aussi se rendre attentif et travailler sur l'écart entre les idées reçues et les périmètres convenus sur lesquels s’entendent élus et professionnels avec les représentations de la culture portées par nos concitoyens (« Les représentations de la culture dans la population française », J.M. Guy, DEPS, Ministère de la Culture,2016).

 

A de rares exceptions près, le paradoxe des appels à « refonder » les politiques culturelles est, en effet, qu'ils contribuent à reconduire la catégorie « culture ». En oubliant qu'il s'agit bien plus fondamentalement de refonder les politiques, de redonner sens et valeur au politique.

La spécificité de l'artistique et l'exception culturelle n'autorisent pas à négliger le droit commun de toute action publique en temps de crise.

Pour des politiques publiques cohérentes et articulées, la règle générale devrait être de mettre en avant la délibération, la coopération, la participation et le contrôle citoyen.

Ce sont des principes qui valent pour tous les champs de même que la rigueur dans l'expertise des configurations, l'intelligence et le courage dans la fabrication des agencements pragmatiques. Le décloisonnement administratif, la cohérence stratégique et l'efficience tactique devraient nourrir des politiques transverses et en interaction les unes avec les autres, agir sur un écosystème où l'attention aux cultures plurielles s'articule avec l'instruction, l'éducation, la formation, la solidarité et les dynamiques territoriales.

Il importe donc de rappeler que dès ses premiers travaux (cf. Contribution #1, février 2013), l'Institut de coopération pour la Culture a su (contre les routinisations du « monde de la culture ») mettre en exergue les valeurs humanistes qui devraient être au fondement de l'action publique en faveur de « la culture » : émancipation, solidarité, délibération .

« La responsabilité de la puissance publique n'est-elle pas d'agir sur cette articulation entre singularité et socialisation, avant que le marché ne s'en occupe exclusivement ? ».

Au cœur de la diversité culturelle et de la multiplicité des appartenances, les politiques publiques doivent créer pour chacun les conditions lui permettant de s'élever, de se libérer des conditionnements y compris les plus profondément intériorisés, ce qui constitue un appel à creuser la notion de laïcité culturelle.

 

J.C. Pompougnac, septembre 2017.

 

Plus récemment j'ai retrouvé cette formule laïcité culturelle dans un ouvrage dont la revue de l'Observatoire des politiques culturelles a bien voulu me confier la recension.

 

LÉGITIMITÉ DÉMOCRATIQUE ET POLITIQUES DE LA CULTURE

Décider en culture, Jean-Gilles Lowies, Grenoble, PUG / UGA Éditions, 2020, coll. Politiques culturelles

 

Au regard des régimes autoritaires qui imposent leur pouvoir de

décision, les pays démocratiques se doivent de légitimer les fins et

les modalités de leurs politiques culturelles. Cette étude a pour ambition de

répondre à cette question : « comment mener et légitimer l’action

culturelle publique sans écorner les valeurs et les principes constitutifs

de l’idéal démocratique ? ». Il s’agit donc d’analyser au plus près

les régimes décisionnels et les attendus théoriques auxquels

chaque contexte – national, régional ou local – offre sa réponse

particulière.

Rien n’est moins simple tant les notions clefs en jeu ne procèdent

pas de l’évidence, à commencer par celles de « culture » et de

« politique ». Selon Guy Saez, que cite l’auteur : « Une politique

publique de la culture est un accord provisoire sur une définition

sociale de la culture, son rôle pour la société et les individus qui

la composent, autant qu’elle est une volonté d’intervenir sur cet

objet » (1993). On signalera qu’outre la richesse de l’approche

comparatiste des analyses ici proposées, la dimension historique

n’en est pas absente puisque, à la même page, l’auteur cite

Michel de Certeau qui affirme, dès 1972, que cette même

expression de politique culturelle « camoufle la cohérence qui lie

une culture dépolitisée à une politique déculturée ».

Plusieurs registres successifs – et de plus en plus affinés – des

modalités de décisions sont analysés. Par exemple : ceux du

« repoussoir des totalitarismes », du contre-modèle libéral ; ceux

qui se réclament du service public ou qui mettent en avant le

principe de subsidiarité, les diverses conceptions de l’intérêt

général portées par les institutions communautaires et la

référence aux « droits culturels ». Ces registres sont regroupés

selon trois ordres de légitimation et d’organisation de la

décision publique : discursif, procédural et de représentation.

Dans tous les cas, le « qui décide, pourquoi et comment ? »

révèle « un enchevêtrement d’intérêts, d’idées et d’institutions

[qui] crée un système complexe dont aucun acteur ne détient

toutes les clefs ».

 

De cette richesse d’analyse, on retiendra le chapitre consacré

à la légitimation procédurale : « comment décider la culture ? ».

Deux idéaux-types y sont distingués : l’État culturel et l’État

neutre. Le premier, différemment centralisé selon les pays, a

pour siège décisionnel un pouvoir exécutif-administratif ; le

second, des autorités indépendantes et impartiales. On touche

ici à l’originalité de l’approche avancée par l’auteur en matière

de philosophie politique. L’idéal de l’État neutre renvoie à une

conception du pouvoir en démocratie qui s’apparente à un « lieu

vide » (Claude Lefort, Essais sur le politique xix-xxes siècles, 1986).

Cette figure de l’État, affirme Jean-Gilles Lowies, « s’approche

d’une certaine conception de l’État laïque ». Cette référence à

la laïcité montre que l’idéal-type d’autonomie ne consiste

nullement en un « laisser-faire » mais – en récusant l’idée que

l’intérêt général puisse s’accomplir par l’agrégation des intérêts

particuliers –, elle souligne que l’impartialité non subordonnée

à l’État peut jouer un rôle actif dans l’accomplissement d’un

droit permanent à la liberté de choix. Loin de l’idée libérale

classique visant à limiter l’action étatique, cet État neutre vise

une véritable démocratie d’impartialité qui réponde à l’aspiration

des citoyens à un traitement équitable. L’auteur s’appuie ici sur

Pierre Rosanvallon : La légitimité démocratique. Impartialité,

réflexivité, proximité (2008).

La conclusion de l’ouvrage confirme que « décider en culture »

devient de plus en plus « un exercice complexe et subtil qui fait

intervenir de nombreux acteurs ». Le réel de « l’ère numérique

globalisée » nous éloignerait inexorablement des idéaux

d’émancipation par la culture, et s’apparenterait plutôt à « un

chaos organisé entre intérêts économiques et groupes idéologiques ou

identitaires, chacun cherchant à maximiser l’outil en s’en servant pour

répandre leurs contenus ». C’en est donc fini de la maladie infantile

des politiques culturelles grandiloquentes (sur le mode : « ce

désordre nous échappe, feignons d’en être les organisateurs »).

Reste donc – et ce n’est pas le moindre mérite de cet ouvrage

que d’éclairer une telle ambition –, dans le respect de la diversité

et des droits culturels, à refonder les missions d’un État laïque

garant de politiques de coopération entre différents niveaux de

pouvoirs locaux, milieux artistiques et institutions culturelles,

société civile et citoyens.

Jean-Claude Pompougnac

 

La Cité des sens, le blog de Jean-Claude Pompougnac

 

« Où plusieurs démonstrations sont donnée de cette thèse : la liberté de philosopher ne menace aucune piété véritable, ni la paix au sein de la communauté publique. Sa suppression, bien au contraire, entraînerait la ruine et de la paix et de toute piété ».

Baruch Spinoza.

Traité théologico-politique. Préambule

 

« Il devrait y avoir en toute constitution un centre de résistance contre le pouvoir prédominant et, par conséquent, dans une constitution démocratique un moyen de résistance contre la démocratie ».

John Stuart Mill, Considérations sur le gouvernement représentatif. (1861)

 

« La démocratie, cela ne consiste pas à s'unir, comme l'annoncent sans cesse les conservateurs attardés. C'est au contraire l'art de se diviser ».

Alfred Sauvy. « Le coq, l 'autruche et le bouc... émissaire (Grasset 1979)

 

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