Peut-on parler de service public de la culture ?

Publié le par Jean-Claude Pompougnac

 

Le service public de la culture.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La culture, un service public ?

Jean-Claude Pompougnac

© Nectart 2018/1 (N° 6), pages 44 à 51


Référence centrale des politiques publiques de la culture depuis une soixantaine d’années et sa consécration par Jean Vilar, le service public de la culture demeure une notion floue, réinterrogée par de nouvelles pratiques coopératives et... par Bruxelles, qui pèse dans le rapport de force en faveur du néolibéralisme et contre les idéaux démocratiques du progrès social.

 L’histoire du théâtre populaire puis de la décentralisation dramatique commence bien avant qu’une administration d’État de plein exercice soit créée en 1959. Ainsi Jeanne Laurent, dès le début des années 1950, dans la perspective des idéaux du Conseil national de la Résistance et du préambule de la Constitution de 1946 (« la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation et à la culture »), a su reprendre l’acquis des aventures culturelles antérieures et transformer l’élan artistique et militant des pionniers d’un théâtre allant, dans les provinces, à la rencontre du plus grand nombre, en formalisant les modalités administratives du contrat entre l’État et les artistes et en créant les cinq premiers centres dramatiques nationaux en région. Cette histoire est connue – encore qu’il serait utile de rappeler aux jeunes générations les changements de sens qu’a connus le terme de « décentralisation », ou pourquoi l’établissement de référence que Jean Vilar fut chargé de créer par la sous-directrice des Spectacles et de la Musique à la direction générale des Arts et Lettres du ministère de l’Éducation nationale s’est dénommé « Théâtre national populaire ». Cette histoire est si respectable que l’on peut comprendre l’émotion des milieux professionnels concernés lorsqu’une directrice de la Création artistique (émancipée de la tutelle des Beaux-Arts et de l’Éducation nationale réunis) évoque le « mur de Berlin » qui ne devrait plus séparer le théâtre public du théâtre privé .

[Déclaration de Régine Hatchondo, directrice générale de la Création artistique au ministère de la Culture et de la Communication, lors de sa rencontre avec les directrices et directeurs des centres dramatiques nationaux le 14 juillet 2017].

Géographiquement comme historiquement, la formule est déplacée : si mur il y a, il est strictement franco-français ; et il signe, en effet, l’attachement d’une partie du monde théâtral à sa propre histoire et à la référence à un service public tel que le postulait Jean Vilar en 1953 : le théâtre étant une nourriture indispensable, le TNP est « au premier chef un service public. Tout comme le gaz, l’eau, l’électricité ».

[Jean Vilar, « Le TNP, service public » [1953], in Le Théâtre, service public, Paris, Gallimard, 1986].

N’oublions pas toutefois le sens du terme « populaire » du projet en question : il s’agit de « remettre et réunir dans les travées de la communion dramatique le petit boutiquier de Suresnes et le haut magistrat, l’ouvrier de Puteaux et l’agent de change, le facteur des pauvres et le professeur agrégé »…

[Jean Vilar, « Petit manifeste de Suresnes » [1951], ibid.]

Le peuple de Vilar, ce n’était donc pas la plèbe, ni la seule classe ouvrière, et cependant ce peuple de spectateurs était tout sauf un « public » de clients, d’usagers ou de consommateurs. Cet attachement du théâtre public à sa spécificité et aux privilèges républicains qui découlent de l’attribution de labels par les services de l’État peut connaître des hauts et des bas : on se souvient peut-être de l’enthousiasme débordant avec lequel artistes et programmateurs (embarqués désormais dans le même navire de l’« institution ») avaient accueilli la Charte des missions de service public conçue en 1998 par la ministre Catherine Trautmann. Un précédent divorce d’avec le pouvoir avait marqué le moment on ne peut plus trouble et ambigu qui avait abouti à la Déclaration de Villeurbanne en 1968 ; dans ce texte, Francis Jeanson (militant du soutien au FLN pendant la guerre d’Algérie), pour analyser le plus rigoureusement possible les impasses de la politique de démocratisation culturelle conduite depuis moins de dix ans, avait inventé la catégorie de non-public (qu’il avait recyclée quelques jours plus tard dans une communication à un colloque de l’Unesco sur « les droits culturels en tant que droits de l’homme »).

Mais l’année précédente, lors des Rencontres d’Avignon organisées par Jean Vilar, Roger Planchon déclarait : « Il est heureux que l’État reconnaisse la liberté des créateurs […] ils ne veulent plus la liberté mais le pouvoir. Ils veulent un affrontement direct avec l’État et avec le public. »

(…/...)

Les caractères du service public, tel qu’il existe en France, ont été fixés à la fin du XIXe siècle : il prend en charge une mission d’intérêt général (qui prime donc sur les intérêts particuliers) ; il faut en outre qu’il dispose de prérogatives de puissance publique (car l’intérêt général justifie que les citoyens soient soumis à des contraintes exorbitantes du droit privé) et qu’il soit contrôlé par l’administration ; il exige une égalité de traitement des usagers, une continuité du service, mais une mutabilité ou adaptabilité de celui-ci. Ce corps de doctrine n’est inscrit dans aucune loi mais relève d’une longue construction jurisprudentielle (Conseil d’État, droit administratif).

La reconnaissance de sa compatibilité avec ce qui relève de l’art et de la culture fut assez laborieuse...

Lire l'article.

 

LA NOTION DE SERVICE PUBLIC CULTUREL EST-ELLE SI CLAIRE ?

Recension de l'ouvrage Les services publics culturels, Jacques Léger, Jean-Marie Pontier (dir.), Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2012, 263 p.,

par Jean-Claude Pompougnac

© Observatoire des politiques culturelles | « L'Observatoire »

2013/1 N° 42 | pages 105 à 105

Référence historique s’il en est, occurrence fréquente dans les discours sur les politiques publiques de l’art et de la culture, la notion de service public est plus fondamentalement une question juridique. Comment cette qualification se traduit-elle dans le domaine culturel ? Ou plus exactement encore, comme l’indique le titre de l’ouvrage, comment se décline-t-elle sous des formes variées dans les champs concernés (« y a-t-il des points communs entre une troupe de théâtre, un musée, une école de musique ») ou les modes de gestion de ces activités (régies, délégations de service public, groupements d’intérêts publics, EPCC…).

Lire le compte-rendu.

© Observatoire des politiques culturelles sur www.cairn.info

 

 


 

« Au point de vue du public, nous estimons que les heures de travail se réduisant ou étant appelées à se réduire, il importe que les loisirs soient une cause de progrès moral et non de dépression, qu’il serait inutile d’arracher le peuple à un labeur abrutissant si c’était pour le jeter à des passions qui l’abrutissent davantage ; nous admettons que le théâtre, même le pire, n’est pas le pire des plaisirs, et en donnant au peuple le goût d’entendre de belles choses, en lui en donnant l’habitude, nous lutterons nécessairement contre des habitudes plus nuisibles. »
, « Projet de théâtre populaire », Revue d’art dramatique, décembre 1900, p. 1115-1188.

Eugène Morel cité par Laurent FLEURY dans "Le TNP de Vilar"

La culture, un service public ?

Le théâtre étant une nourriture indispensable, le TNP est « au premier chef un service public. Tout comme le gaz, l’eau, l’électricité

Chapitre 6. Des dispositifs novateurs : l’invention d’une relation au public.

Les innovations institutionnelles que Jean Vilar a successivement introduites pour conquérir et fidéliser son public constituent une révolution dans les représentations et les pratiques. Avant de l’accueillir au Palais de Chaillot, il partit conquérir le public en banlieue et, ce faisant, procédait déjà à quelques innovations. La question est ici de savoir par quels dispositifs Vilar a noué une relation au public. Car l’existence du public ne se limite ni à sa dimension phénoménologique éprouvée lors d’une représentation théâtrale, ni même à sa dimension discursive consignée dans les manifestes, éditoriaux ou professions de foi. Il se constitue dans une relation. Comment une institution culturelle, comme le TNP, peut-elle produire des innovations, voire procéder à une invention dans la façon d’instituer cette relation ? En fondant un type de relation au public, Vilar constitue celui-ci comme destinataire du service public dont il assume la responsabilité. Pour qui cherche à comprendre les significations et le sens du service public dans ses réalisations pratiques, se pose alors la question de l’instauration d’une relation de service entre institution culturelle et spectateurs usagers. Si le public se présente comme une catégorie mobilisée pour fonder une convention de service public, cette catégorisation ne peut être séparée de la série d’actions qui ont, pratiquement, donné consistance aux valeurs véhiculées par l’idée de théâtre, service public.

 

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Jeanne Laurent et Jean Vilar , le service public de la culture.

 

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