Pour une culture laïque

Publié le par Jean-Claude Pompougnac

 

 

« La laïcité doit se comprendre comme l’édification d’un monde commun aux hommes sur la base de leur égalité et de leur liberté de conscience, assurée par la mise à distance de tous les groupes de pression.
C’est pourquoi l’affirmation de la laïcité ne se construit pas contre le seul cléricalisme religieux, mais aussi contre toute captation ou mise en cause de la chose publique par des intérêts idéologiques ou économiques particuliers.»

Henri Pena-Ruiz, Dieu et Marianne : Philosophie de la laïcité, PUF, 2005, p. 232.

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A rebours d'une croyance que tentent d'imposer à l'opinion ceux qui nous gouvernent, la laïcité n'est pas un dogme.

Et la loi qui fonde en droit son inscription dans notre socle républicain est bien un compromis historique, le résultat d'un débat approfondi et d'un long travail politique.

On peut trouver sur le site de l'Assemblée nationale l'archive des débats qui ont conduit à la promulgation de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État.

Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État.
(Publiée au Journal officiel du 11 décembre 1905)

 

TITRE PREMIER
Principes.

ARTICLE PREMIER. - La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.

Rappelons, par ailleurs, comme déjà signalé ici que l'on trouve la plus complète des anthologies de textes sur la laïcité sur le site de l'Association des professeurs de philosophie de l'enseignement public

La laïcité n'est pas une identité.

Vraiment la laïcité n’est plus ce qu’elle était ! À entendre les propos de certains ministres, qui veulent reprendre en main ce qu’ils appellent « le portage de la laïcité », celle-ci semble devenue une machine à exclure. D’une part, à écarter de l’espace politique les interlocuteurs que l’on veut discréditer, en les taxant d’ « identitaires d’extrême droite », et pourquoi pas de « communautaristes islamo-écologistes » ! D’autre part, à humilier et à refouler de la société civile les diverses traditions et confessions religieuses. Le paradoxe est que ce sont ceux-là mêmes qui tiennent ces propos qui redéfinissent la laïcité comme l’identité française. Au temps de l’Action Française, l’athée Charles Maurras faisait du catholicisme l’identité exclusive de la France : aujourd’hui le laïcisme en a subrepticement pris la place, et la fonction. Bravo !

Mais la laïcité n’est pas une identité, et n’a pas la fonction d’exclure. Elle répond à une autre et difficile question : comment faire un avec du multiple, sans écraser le multiple ni désagréger l’un. La laïcité est un cercle pluriel, autour d’un centre vide. Ce n’est pas le pilier moniste de l’identité de la Nation, ni un outil de contrôle et de formatage des âmes. Son but n’est pas de refouler les religions dans le for intérieur des citoyens. Dire « vous pouvez croire ce que vous voulez chez vous, mais ne l’exprimez pas dans l’espace public », c’est exactement ce que l’État absolu de Louis XIV disait lorsqu’il pourchassait les religions non conformes au Culte royal. Il faut avoir ce souvenir en tête : les protestants avaient représenté jusqu’à un tiers de la population française et ce n’est qu’en les persécutant et finalement en les expulsant que la France est devenue un État-nation (Jules Michelet le rappelle dans sa grande « Histoire de France », qui prépara justement la loi de 1905).

 

La citation Henri Pena-Ruiz qui ouvre le présent billet est tirée d'un post de l'excellent blog de Roland Janvier dont je ne saurais trop conseiller la lecture.

 

Son analyse apporte un éclairage philosophique au compromis politique qu'est la laïcité.

Extrait :

 

L’être humain est un sujet incomplet.

« Le désir est la relation d’être au manque. Le manque est le manque à être à proprement parler. Ce n’est pas le manque de ceci ou de cela mais le manque à être par lequel l’être existe.» (Jacques Lacan, Écrits, Essais et documents, Le Seuil, 1966).

 

La psychanalyse a mis en lumière, sous la problématique du désir, le « manque à être » qui caractérise l’expérience humaine. C’est cette épreuve radicale du manque qui détermine toute relation à autrui. Aucun ne peut-être cet autre dont la rencontre renvoie systématiquement à la frustration de ne pouvoir jamais être tout à fait lui. C’est, par exemple, le fondement de la rencontre amoureuse (la fusion n’est jamais possible) ou encore de l’expérience du genre (l’homme ne peut jamais être totalement femme et réciproquement).

C’est cette incomplétude humaine qui ouvre un espace possible à la dynamique relationnelle, à l’ouverture à l’autre dans sa différence, à l’expérience de l’altérité. Cela a des conséquences considérables quant à la manière d’envisager la vie collective.

 

Le ciel n’est jamais plein.

« La laïcité française n’oppose pas la foi à l’incroyance. Elle ne sépare pas ceux qui croient que Dieu veille, et ceux qui croient aussi ferme qu’il est mort ou inventé. Elle n’a rien à voir avec cela. Elle n’est fondée ni sur la conviction que le ciel est vide, ni sur celle qu’il est habité, mais sur la défense d’une terre jamais pleine, la conscience qu’il y reste toujours une place pour une croyance qui n’est pas la nôtre. La laïcité dit que l’espace de nos vies n’est jamais saturé de convictions, et elle garantit toujours une place laissée vide de certitudes. Elle empêche une foi ou une appartenance de saturer tout l’espace. En cela, à sa manière, la laïcité est une transcendance. Elle affirme qu’il existe toujours un territoire plus grand que ma croyance, qui peut accueillir celle d’un autre venu y respirer

(Delphine Horvilleur « rabbin laïc » Vivre avec nos morts, Ed, Grasset 2021, pages 28,29).

La première conséquence de ce « manque à être », c’est cette conviction qu’aucune certitude ne peut occuper seule tout l’espace sociétal. « La terre n’est jamais pleine », elle laisse toujours ouvert l’espace des convictions. Croyances, idéologies, théories, références sont autant de notions elles aussi marquées par le sceaux de l’incomplétude et du manque. Aucune d’elles ne parviendra à combler ce vide. L’être humain est donc tenu, outre d’assumer son imperfection ontologique, de bricoler avec ces matériaux épars, pluriels et disponibles qui lui permettront de donner un sens à son existence – que ce soit la conviction que la vie n’a pas de sens, ou, inversement, qu’elle a un sens donné d’avance et une fois pour toutes.

Le manque est la condition du vivre ensemble.

Sans cette vacuité inscrite dans la genèse de toute chose, le vivre ensemble serait impossible. C’est parce qu’aucun système de pensée ou d’action ne peut jamais être totalement fermé sur lui-même que l’ouverture à autrui – individus, groupes, sociétés ou civilisations – est rendue possible.

 

Pour une culture laïque

 

  • Peut-on concevoir qu’existe un ordre juridique laïque en l’absence d’une «culture» laïque? La réponse est presque dans la question. La laïcité n’est pas tombée toute armée dans l’espace républicain depuis on ne sait quelles nuées laïques. L’histoire nous le démontre, la laïcité est un construit patient, résultat de combats, susceptible de réversibilité. Seule la démocratie est de nature à lui offrir un cadre de développement. Il est à craindre que l’épuisement démocratique révélé par le développement des populismes et la banalisation des «démocratures» ne soit le marqueur d’un épuisement corrélatif de la culture émancipatrice qui n’a cessé d’animer les acteurs du combat laïque. Ceux qui se revendiquent d’une «laïcité identitaire» y trouvent argument pour poursuivre leur démarche d’instrumentalisation. Une telle culture ne se décrète pas, elle se construit. Si nous voulons éviter d’avoir à vanter les mérites d’un principe dont nous n’aurions pas eu la force de garantir la pleine efficacité, nous avons le devoir de nous attacher à reconstruire une telle culture. Son affirmation sera la meilleure réponse aux instrumentalisations idéologiques.


Conclusion de La laïcité, une émancipation en actes, Ligue de l'enseignement, avril 2017

 

 

Voir aussi sur La Cité des sens :

Culture laïque et laïcité culturelle

Culture laïque et laïcité culturelle #3

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