Aux oubliettes de l’histoire ?

Publié le par Jean-Claude Pompougnac

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J'évoquais ici même, il y a quelques jours le table-ronde de présentation de l'ouvrage :

 

Quelle politique pour la culture ?

Florilège des débats 1955-2014

Philippe Poirrier

La Documentation Française.

 

Les débats suscités tout au long du dernier demi-siècle par les politiques culturelles mises en œuvre depuis la création d'un ministère de la Culture au début des années 1960, méritaient d'être mieux connus. La sélection des quarante-cinq textes, présentés ici, permet de bien saisir l'évolution des argumentaires qui ont peu à peu fondé la légitimité d'une politique publique de la culture en les replaçant dans une perspective chronologique.
 

Il s'agit en fait de la réédition actualisée d'une précédente anthologie  qui s'achevait sur un discours d'Aurélie Filipetti prononcé en 2012.

 

A examiner la table des matières de cette anthologie devenue florilège pour la période la plus récente, on trouve le choix de textes suivants :

 

  • Olivier Henrard - « Vers un ministère de l’Economie et des Industries culturelles ? » 2010.

  • Frédéric Mitterrand - «  La Maison de l’histoire de France est une chance pour la recherche», 2010.

  • Pierre Nora - « Lettre ouverte à Frédéric Mitterrand sur la Maison de l’histoire de France», 2010.

  • Philippe Chantepie – Prospective de politiques culturelles : « un ministère nouvelle génér@tion», 2011.

  • Guillaume Cerutti - « Cinq propositions pour le ministère de la Culture », 2011.

  • Jean-Pierre Rioux - Projet de la Maison de l’histoire de France, 2012.

  • Olivier Poivre d’Arvor - « Culture d’Etat ou culture dans tous les états », 2012.

  • David Kessler - « Les enjeux d’une politique culturelle à l’orée du XXIe siècle », 2012.

  • Bernard Faivre d’Arcier - « Les publics devraient être la priorité », 2012.

  • Aurélie Filippetti  - « Notre politique culturelle »? 2012;

  • Aurélie Filippetti  - Discours d’ouverture du « Forum de Chaillot – Avenir de la Culture de l’Europe, 2014.

     

Si pour la période Frédéric Mitterrand on note bien la présence de trois textes sur la Maison de l'histoire de France, force est de constater une absence qui laisse supposer que l'épisode « culture pour chacun » n'est pas franchement digne d'intérêt.

 

 

Tel ne fut pas l'avis, en 2013, de la revue philosophique Cités.

Cités est une revue trimestrielle qui se propose d’interroger d’un point de vue philosophique les grandes transformations des sociétés actuelles. L’ambition intellectuelle de cette revue vise à associer le retour au réel et l’ouverture au possible. Par le retour au réel, on s’efforce de décrire et d’analyser les faits sociaux, politiques ou économiques dans toute leur épaisseur. Le travail de réflexion est donc risqué dans des domaines en général peu fréquentés par les philosophes. Par l’ouverture au possible, on fait intervenir une dimension critique, en creusant, par l’analyse et l’évaluation, des brèches dans la rigidité du réel qui sont aussi des accès à des figures du possible.

 

Cités, n° 54, 2013/2 a, en effet, consacré tout un dossier à La culture, après Malraux

dossier ainsi présenté par Christian Godin.

Rien ne rend mieux compte de l’opposition entre l’esprit démocratique et l’esprit républicain que l’infléchissement de la politique culturelle en France, de Malraux à Filipetti.

 

Ce dossier comporte un texte de Jean Caune intitulé Un héritage sans testament,

 

La plupart des formes culturelles du xxe siècle se sont confrontées à la question de leurs réceptions et de leurs usages. La diffusion et l’appropriation des productions symboliques et des œuvres de l’esprit ne relèvent pas seulement de l’élargissement sociologique des publics, elles sont de l’ordre du politique.

 

Et un article L’héritage de Malraux dans l’orientation des politiques culturelles : « Culture pour chacun » (2010) entre captation, détournement et ambivalence

Signé de Martial Poirson

 

 

 

C’est dans le contexte d’un assourdissant silence qu’ont été célébrés en sourdine, depuis quelques années, les commémorations officielles des soixante ans de la politique de décentralisation théâtrale (2006), des soixante ans du festival dAvignon (2007) et des cinquante ans du ministère de la culture (2009), rendant sensible une certaine mauvaise conscience collective quant au devenir des institutions culturelles nées à la faveur des utopies de l’après la Seconde Guerre mondiale... Dans le même temps se sont multipliés les constats d’échec en ce qui concerne la démocratisation culturelle, avec une mention spéciale pour le spectacle vivant, dont la crise de conscience a été exacerbée par l’annulation du festival dAvignon en 2003 et par la polémique autour de sa programmation en 2005. Désormais, il est devenu d’usage courant d’évoquer une démocratisation culturelle « en panne » ou « à bout de souffle »sous l’effet d’un « système fatigué », dont l’état de « crise » inciterait à établir l’« anatomie d’un échec ».

 

Dans cet article, l'auteur analyse longuement et de manière fort critique le rapport Guillaume Pfister et Francis Lacloche (diffusé ici même en son temps) : « Culture pour chacun. Programme d’actions et prospectives », Ministère de la culture et de la Communication, septembre 2010.

 

Extrait :

Définition purement instrumentale de la culture considérée comme un « outil politique du lien social », une telle posture conjugue démagogie et relativisme : elle pose la « diversité culturelle » comme équivalent fonctionnel, voire substitut légitime à « démocratie culturelle », dans la droite ligne des dérives libérales.

Au passage, la vision dialectique d’une culture considérée comme un dispositif délibératif, voire comme un espace public oppositionnel, propice au dissensus et à l’affrontement symbolique, est éclipsée au profit d’une vision consensuelle et lénifiante de la « culture partagée » et de son « nécessaire consensus ». Pour ce faire, les auteurs procèdent par glissement et raccourci au sein de la vulgate sociologique : reprenant curieusement à leur compte le modèle bourdieusien de la reproduction des élites et de la domination culturelle, ils en renversent la vocation critique : ce qui se joue à l’intérieur des processus d’inculcation culturelle, c’est moins, selon eux, un rapport d’émulation et d’imitation, produit de la « bonne volonté » des classes populaires et de leur intériorisation des catégories dominantes, qu’un rapport d’« intimidation sociale », dont les auteurs du rapport ont pour ambition d’« inverser le phénomène »

Prônant la « réappropriation » au lieu de l’inculcation culturelle, ils en appellent à la « force vive de la population », en s’inscrivant dans la tradition d’un certain populisme, s’exprimant au nom de « cette frange de la population éloignée de la culture car oubliée des politiques culturelles en l’absence d’adéquation à aucun critère objectif ». Ce faisant, ils placent résolument la culture dite légitime dans l’ère du soupçon en arborant un obstacle ontologique à sa diffusion.

Cités, n° 54, 2013/2 page 138


 

Que le bref épisode « CPC » de 2010 mérite une attention soutenue ce fut aussi l'avis de Michaël Guggenbuhl lorsqu'il s'est agit de choisir le sujet de son mémoire pour le Diplôme de conservateur des bibliothèques, sous la direction d'Anne-Marie Bertrand, directrice de l'ENSSIB (et historienne). J'ai déjà évoqué ce travail ici même.

 

À lheure où le minisre de la Culture semble faire évoluer un de ses paradigmes fondamentaux - la démocratisation culturelle -, comment comprendre lirruption de la formule « culture pour chacun » ? Innovation sémantique ou signe dune réorientation stragique de la politique culturelle ? Une analyse des positions, principaux textes et discours émanant du minisre de la Culture jusqu’à 2011 s’efforcera d’éclairer cette évolution, que les acteurs d’aujourdhui considèrent tantôt comme un abandon, tantôt comme la prise en compte de nouveaux modèles sociaux et l’expérimentation de nouvelles modalis dintervention publique en matière culturelle.

 

 

 

Télécharger Culture pour tous, culture pour chacun de Michaël Guggenbuhl

 

 

A noter que , contrairement à Martial Poisson qui centre son analyse sur le rapport de Guillaume Pfister et Francis Lacloche, Michaël Guggenbuhl cite aussi un autre rapport :

LONGUET, Elise : Culture pour chacun. Étude et propositions dactions en faveur de laccès de chacun à la culture, et principalement de trois populations qui en sont éloignées, les jeunes, les habitants des banlieues défavorisées, et les habitants de lespace rural, Rapport remis à M. Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, 15 mars 2010, qu'il comment ainsi :

 

Mais dès lors, à quoi peut bien correspondre, au niveau national, une politique de la demande, voire de la satisfaction de la demande de chacun dans le domaine de la culture, sauf à encourager des phénomènes de consommation culturelle qui feraient courir le danger, qu’évoque par ailleurs le ministre, d’une « éclipse du citoyen formé et éduqué à l’art par la figure du consommateur», et à renforcer l’individualisation des pratiques? C’est pourtant nettement dans ce sens que va le Rapport, remis au ministre par Élise Longuet en mars 2010, en faveur de l’accès de chacun à la culture, lequel propose pour l’essentiel un ensemble de mesures pour faciliter l'achat de produits culturels,au moyen notamment de cartes et de chèques culture.

 

 

J'observe, à cet égard qu'il y a des oubliettes plus profondes et plus obscures que d'autres puisque dans la bibliographie de son diplôme, le jeune auteur fournit l'adresse suivante pour accéder au rapport Longuet :

http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/3/94/59/36/Rapport-Elise-Longuet---Culture-pour-chacun---Etude-et-prop. pd f

 

Et cette adresse, c'est celle de... La Cité des sens !. Recherche faite (y compris sur le site du ministère) le rapport attribué à la fille de Gérard Longuet a totalement disparu des écrans radars.

 

Je me fais un plaisir de le rendre accessible de nouveau.

 

 

 

Et puisque je suis en verve sur cette période de notre histoire culturelle, je vous livre un autre document fâcheusement méconnu. Il semble avoir été rédigé par le conseiller technique du président Sarkozy qui a quitté ses fonctions en 2010 et s'intitule

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La Politique culturelle de Nicolas Sarkozy 2007-2010.

 

Encore une modeste contribution de La Cité des sens à l’instruction civique des jeunes générations.

 

 

 

 

Voir aussi sur ce blog Actualités des politiques culturelles


 

Votre blog a donné lieu à une création de notice bibliographique dans le catalogue de la Bibliothèque nationale de France. Il lui a été attribué un numéro international normalisé (ISSN) :


 Titre : La Cité des sens

 ISSN : 2270-3586

 

  

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