La philosophie saisie par la communication politique

Publié le par Jean-Claude Pompougnac

Dans une notre du 17 mai dernier , présentant un texte du Dr Kasimir Bisou « La critique des politiques culturelles à l’aune de la diversité culturelle», le nom du philosophe Jacques Rancière avait été évoqué, notamment à propos d’un de ses derniers ouvrages « La haine de la démocratie »..

L’information qui suit n’est pas de toute première fraîcheur mais je crois qu’elle vaut son poids d’illustration de ce qu’est devenu la communication politique.

Voici donc la note publiée, en avril dernier, par un certain Winston Smith sur le blog Blolitique.

Ségolène Royal et Jacques Rancière ? Et si c'était vrai ?

Ségolène Royal a mis en ligne il y a quelques jours, sur son site, l’ébauche d’un plan, celui du premier chapitre d’un livre à venir, intitulé « désordre démocratique : premier diagnostic ». Jusque là, je me moquais de Royal. Son site présenté comme un blog qui n’en est pas un, la tarte à la crème du forum participatif qui n’a jamais vraiment fonctionné nulle part depuis qu’internet existe, ou à la marge, ou très peu, ou très brièvement (il y aurait beaucoup à dire sur la violence textuelle des pseudo forums du net), ses idées sur les homos et la famille, la vision très conservatrice que j’avais de cette drôle de femme portée par des sondages, maître de sa communication à un point si radical, etc. Et puis j’ai lu, donc, ce plan de chapitre. J’y ai vu la marque énarchique, la vision clinique qu’on enseigne, prendre tous les éléments qu’on connaît, les mettre en ordre, la contrainte de la problématisation si science po… j’avais donc une armée de préjugés dans mes poches. Et puis, et puis… après une lecture rapide de ce style télégraphique, je me suis arrêté sur cette phrase là qui clôt le chapitre et là, mon jugement s’est entièrement retourné.

Jacques Rancière à propos de la démocratie : « il faut redonner à ce mot sa puissance de scandale. Il a d’abord été une insulte : le gouvernement de la canaille, de la multitude, de ceux qui n’ont pas de titre à gouverner ». L’égalité n’est pas le but mais le présupposé de la démocratie comme « pouvoir de n’importe qui » et affirmation que « le plus grand nombre a vocation à s’occuper des affaires communes ».

Jacques Rancière… Je me suis demandé vraiment ce qu’il foutait là, Rancière. Je me suis demandé ce qu’était devenu le désordre démocratique du titre qui semblait à première vue transformé en « dysfonctionnement » (un mot très énarque, là encore) dans l’un des paragraphes du milieu. Et puis, j’ai fait le lien entre les deux, et j’ai voulu accorder le bénéfice du doute à Royal. Son désordre démocratique n’est pas une critique, c’est une compréhension de ce qu’est la démocratie. On aurait pu en douter, mais l’allusion à Rancière vient étayer la thèse. Royal n’est plus conservatrice, elle accepterait même le débord de la politique, la transgression essentielle de la parole démocratique. Et si c’était vrai… ?

Rancière… Un nom qui tourne autour d’une œuvre travaillée depuis longtemps par la question de l’émancipation. Rancière est le complément de Foucault à bien des égards via Althusser. La politique n’est pas une pensée du pouvoir. La politique n’est pas le pouvoir. Si Foucault a tout au long de son œuvre chercher à démasquer le pouvoir, il avait permis de penser que celui qui démasquait ainsi les chausse-trappes de la modernité faisait bien œuvre politique. Rancière fait la même chose. Et il le pose ouvertement, plaçant la politique du côté de la résistance, du débord, du désordre, du disensuel, de la frontière, de la trangression, la trangression de l’ordre, ne serait-ce que pour donner à voir, simplement, l’ordre caché des choses. Rancière, Foucault, et Bataille, voilà d’un coup ce qui a émergé quand j’ai lu les dernières lignes du chapitre du Royal. Une constellation qui me va bien. Un diagnostic du présent qui ferait la part belle aux bords des choses ? Je ne sais pas. J’imagine. J’aimerais bien… Le curseur serait déplacé de manière exemplaire, il frapperait d’obsolescence les trois quarts des combats actuels estampillés du mot politique, les combats pour l’égalité, qui disent que la démocratie n’existe pas encore, les étincelles de liberté qui se manifestent sur les pavés pour dire ce qui pourrait être mais qui n’est pas encore. En une citation, Royal, si elle croit vraiment à ce qu’elle écrit, ouvre la possibilité de quelque chose de neuf. Vraiment neuf. Tellement neuf qu’il est appelé depuis des années par les penseurs français oubliés qui n’ont eu de cesse au milieu du bruit médiatique, isolés, retirés, qu’ils étaient de sauvegarder une forme d’entente politique comme des fous cherchant à préserver les fragments de feu au milieu de la pluie. Rancière fait partie de ces gens là. Indéniablement. Et ne serait-ce que rendre hommage à ce travail est plutôt un bon point.

Alors ? Est-ce un habillage destiné à rassurer une partie des gauchistes ?

Le fait est que c’est écrit, c’est public : Royal s’avance maintenant armée de cette tâche là. Si elle l’oublie comme Chirac a toujours oublié ce qu’il avait pu dire avant d’être élu, alors elle sera vouée aux gémonies de la lumière publique, on pourra la contrer, ouvertement, et retourner vers les sages, garder le feu, avec eux, en attendant encore…. Mais ce n’est pas encore le moment. Le moment est plutôt d’être soulagé, on comprend presque l’effacement des idées chez cette femme, peut-être simplement parce qu’elle ne veut pas être une maîtresse d’école, parce qu’elle a vraiment lu Rancière, qu’elle sait les travers d’une position de domination et la sape démocratique que cela signifie : elle aurait compris l’oxymore qu’est la démocratie représentative…

Je suis trop optimiste ?

Quelques commentaires en réaction à cette note dont celui-ci, du même Winston Smith :

Rapidement, là, tout de suite : je ne suis pas convaincu que Rancière ne soit pas qu'une posture malheureusement, et beaucoup de choses m'exaspère dans la posture Royal (depuis que j'ai écrit cette note d'ailleurs, en partie). Cela dit, il y a un risque qui est pris pour un acteur politique à user d'une référence comme Rancière : on n'est pas à un coup de la fracture sociale près c'est évident. Evidemment aussi, le "coup" de l'ordre juste est assez problématique quand on veut citer Rancière, et dégage une volonté de syncrétisme très énarque, très plan de première de la classe avec ouverture sur la fin. Cela dit, je ne suis pas certain que la référence ne soit pas aussi un piège pour son auteur. C'est à voir, d'où la question : et si c'était vrai? qui n'est qu'une question. J'utilise d'ailleurs beaucoup le conditionnel dans cette note.

Ce qui m'a positivement frappé en fait, c'est que certains passages de ce chapitre semblent effectivement écrits à plusieurs niveaux, et que la critique de la démocratie représentative y est assez claire. Maintenant, j'ai posé la question sur le site, mais pas de réponse (il n'y en a jamais) : comment sortir de la démocratie représentative actuelle? J'ai aussi posé la question lors de son "chat" sur LCI, mais la question n'a pas été reprise...

Doc Gyneco avec Sarkozy et Rancière avec Royal, que demande le peuple? Merci à Blolitique et à Winston Smith. A suivre pour vérifier qu’on vit vraiment une époque formidable !

Jacques Rancière sur Wikipédia

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