La chose artistique (2)

Publié le par Jean-Claude Pompougnac

« Au séminaire, il est une façon de manger un œuf à la coque qui annonce les progrès faits dans la vie dévote ».

Voilà résumée toute la sociologie de la culture. Il ne s’agit pas d’une citation de Pierre Bourdieu mais d’une phrase de Stendhal, dans le Rouge et le Noir (Livre I, chapitre 26).

Habitus : une certaine manière de se comporter et d’apparaître aux autres, acquise par répétition et qui devient comme une seconde nature. Une posture, une façon de se poser qui signifie une singularité et  la participation à un collectif, une classe, une communauté.

La chose artistique résulte de ce que les artistes  (et leurs « partenaires » : politiques, fonctionnaires, conseillers, médiateurs..) ont en partage. Un fond commun insu, oublié tant cela va de soi, banal. C’est l’implicite de la complicité, une connivence qui les place quelque part dans le champ social, dans les relations de solidarité et les rapports de force (la lutte des classes) qui font société.

[Tentation de la polémique et de la formule facile à l’emporte pièce : les travailleurs à la chaîne prennent une pause, les artistes prennent la pose. Renoncer à la tentation].

Un autre romancier nous fait saisir cela, plus proche de nous que Stendhal, sans être toutefois notre contemporain puisqu’il est décédé prématurément.

Manchette_1  Dans Iris Kulturkampf, un projet inabouti situé entre La position du tireur couché et La princesse du sang (qui reprend les thèmes et personnages d’Iris) Jean-Patrick  Manchette campe le personnage d’un certain Maurer, comédien assez médiocre qui est recruté à cause de sa ressemblance avec un certain Victor Bester.

Dans ce coup tordu, il se trouve associé à une chanteuse italienne à la carrière incertaine Alba Joy Black. 

Tandis qu’ils attendent le moment de passer à l’action, c'est-à-dire d’incarner Victor Bester et sa supposée petite amie du moment, une relation trouble se noue entre eux.

Manchette note ceci :

Plus tard, alors qu’il avait perdu à jamais la possibilité d’éclaircir la chose, d’en avoir le cœur net, l’homme devait se demander quelquefois si Alba Joy Black l’avait réellement tutoyé dans cet instant-ci ; si elle l’avait tutoyé d’une manière intime. En effet elle était italienne; et il existe en langue italienne une forme de tutoiement qui n’est pas intime : c’est un simple tutoiement entre les compagnons d’une même profession, analogue au tutoiement banal qu’utilisent entre eux, souvent, en langue française, les gens de spectacle : les gens de la chanson, les gens du cinéma, les musiciens.

Le tutoiement des gens du spectacle participe de ce que j’entends par chose artistique.

[Note de méthode : rester superficiel. Il y a beaucoup d’esprits pénétrants. Des ouvrages aux analyses pénétrantes, ma bibliothèque en est pleine. S’efforcer d’être profondément superficiel c’est interroger la surface des choses de telle sorte que la question rebondisse sur le questionnement lui-même et produise une altération de la réflexion.

S’abstenir de faire preuve de pénétration pour laisser les choses en l’état : «un roman, c’est un miroir qu’on promène le long d’un chemin ». Stendhal, encore]

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Arcadi_77_11

Publié dans La chose artistique

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M
Un matin que l'abbé travaillait avec Julien,dans la bibliothèque du marquis...<br /> -Monsieur, dit Julien tout à coup, dîner tous les jours avec Mme la Marquise, est-ce un devoir ou est-ce une bonté que l'on a pour moi?<br /> -C'est un honneur insigne! reprit l'abbé scandalisé...<br /> -C'est pour moi, monsieur, la partie la plus pénible de mon emploi.<br />
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