Education artistique et culture laïque.

Publié le par Jean-Claude Pompougnac

La Cité des sens. Culture et politique.

 

 

 

 

 

 

 

 

Je ne pense pas inutile de reproduire ici une contribution de FLORENT VIGUIÉ, publiée sur le site du syndicat enseignant SGEN-CFDT

 

QUEL LIEN ENTRE LES PRATIQUES ARTISTIQUES ET LA QUESTION DE LA LAÏCITÉ ?

L’art n’a pas à être instrumentalisé pour telle ou telle cause. Il existe pour lui-même.
Mais alors que les tensions, voire les écarts entre les savoirs transmis par l’école et des transmissions ou pratiques au sein des familles peuvent se voir exacerbées,
 l’art est un recours précieux.
L’art permet de répondre autrement aux questions posées. Il n’impose pas d’absolu, n’entend livrer aucun dogme, aucune certitude.
S’il suscite la réflexion et éveille l’intérêt, il ne propose même pas de message, ou pas forcément en tout cas. Il n’est pas descendant, du maître vers l’élève, de l’adulte vers l’enfant, d’un sachant vers un apprenant : 
il est par nature une simple expérimentation sensible, égalitaire entre tous.

LA LAÏCITÉ COMME EXPÉRIMENTATION DE LA DIFFÉRENCE

Aussi, contre toute tentation d’un catéchisme laïque, la laïcité se doit d’être d’abord une expérimentation de la différence, comme une confrontation à l’autre impliquant le respect mutuel de l’identité de chacun.
En particulier après de longues périodes où tout ou partie de l’enseignement s’est opérée et s’opère encore hors de la présence physique de l’enseignant, imposer un « catéchisme laïque » serait inefficace pour lutter contre le repli identitaire ou communautaire et toutes les formes de fondamentalismes, sans parler des tentations de radicalisations.
Opérant en dehors du champ de la morale, sans leçon toute faite à donner, l’art me conduit vers l’autre. Comme nous l’écrivions ailleurs,  
« ce sont bien les fondamentalismes qui heurtent notre laïcité, et pas une religion particulière ».

EN QUOI L’ART SERAIT-IL PLUS EFFICACE POUR LUTTER CONTRE LES FONDAMENTALISMES ?

L’art n’entend délivrer aucun message pré construit en soi.
C’est justement parce que l’art existe pour lui-même qu’il est si précieux. Il retire momentanément à l’enseignant son autorité de sachant, pour mieux laisser place à la magie de l’espace de création : une fragilité, un possible, une quête, une dimension relative, sensible et non intellectuelle, susceptible de toutes les remises en question, et à ce titre, justement, si précieuse et si incontournable à force d’être incertaine.

Ceci est d’autant plus vrai quand la rencontre de l’œuvre peut se faire en présence, sans médiatisation, vraiment. Mieux encore, quand c’est de la présence de l’artiste lui-même qu’il est question, ce qu’un écran d’ordinateur ne saurait remplacer. Par ailleurs outil formidable devenu indispensable dans nos apprentissages, l’ordinateur ne remplacera jamais la rencontre de chair de l’artiste. Car l’artiste ne note pas, n’évalue pas. Ce statut si particulier de l’artiste à l’école est le plus favorable dès lors pour libérer une parole, si nécessaire quand nous parlons laïcité.

LA LAÏCITÉ POUR EXPLICITER DE POTENTIELS DÉSACCORDS

On le sait les appréhensions des collègues quand il est question de laïcité peuvent conduire à une forme d’auto-censure, faute de formation suffisante pour s’espérer convaincant quand il s’agit de répondre à des questions difficiles.
Et pourtant, si ce n’est pas à l’école que nous préviendrons les inquiétudes, ou cela se fera-t-il ? Certaines questions d’élèves peuvent, il est vrai, s’apparenter à des remises en cause, réelles ou supposées, et
 le risque de se retrouver pris au piège de la fragilité démocratique n’est pas à sous-estimer.
Piégé, comme peut l’être toute institution de liberté lorsqu’au nom de la démocratie, elle invite à la parole sans contrainte, mais voyant que le débat potentiellement lui échappe, entreprend de le refermer arbitrairement si l’échange dérape ou lui semble déraper dans un sens qui ne lui convient pas.
Piégée, l’institution l’est quand souhaitant se protéger, elle se renie elle-même si elle contraint par la censure une parole libre qu’elle prétend défendre. Pour sortir de ce point de blocage, il doit être possible de dire à l’élève : tu vois, nous ne sommes pas d’accord. J’espère pouvoir un jour te convaincre. Aujourd’hui, non, vraiment nous ne sommes pas d’accord. Mais ce n’est pas grave.


L’art n’a pas à être instrumentalisé pour telle ou telle cause. Il existe pour lui-même.
Mais alors que les tensions, voire les écarts entre les savoirs transmis par l’école et des transmissions ou pratiques au sein des familles peuvent se voir exacerbées,
 l’art est un recours précieux.
L’art permet de répondre autrement aux questions posées. Il n’impose pas d’absolu, n’entend livrer aucun dogme, aucune certitude.
S’il suscite la réflexion et éveille l’intérêt, il ne propose même pas de message, ou pas forcément en tout cas. Il n’est pas descendant, du maître vers l’élève, de l’adulte vers l’enfant, d’un sachant vers un apprenant : 
il est par nature une simple expérimentation sensible, égalitaire entre tous.

DE L’UTILITÉ DE L’ARTISTE

Parce qu’il n’entend pas répondre, l’artiste est ici très utile. Parce qu’il rencontre, propose, expérimente, et invite à l’expérimentation, mais laisse ensuite tous les chemins ouverts.
Par sa fragilité même et son absence de certitudes, l’artiste bouscule utilement jusqu’aux savoirs les plus établis.

De l’enseignant peut-être. Ne redoutons pas ce risque. De l’élève enfermé dans ses jeunes certitudes, aussi. Et il agit dans la durée.

Alors cet espace de liberté se fera un recours plus précieux pour l’ouverture au monde que tous les communautarismes redoutent.
© FLORENT VIGUIÉ

L’art n’a pas à être instrumentalisé pour telle ou telle cause. Il existe pour lui-même.
Mais alors que les tensions, voire les écarts entre les savoirs transmis par l’école et des transmissions ou pratiques au sein des familles peuvent se voir exacerbées, l’art est un recours précieux.

FLORENT VIGUIÉ

POUR ALLER PLUS LOIN

LA LAÏCITÉ À L’ÉPREUVE DES TRANSFORMATIONS DE L’ÉCOLE


J'ajoute pour alimenter le débat, cette référence trouvée dans un article de Laura-Lou Rey

publié sur le site Profession spectacle

Dans une interview pour une structure belge, Roland Gori, psychanalyste et auteur, revient sur la racine du mot « religion » et l’associe au verbe « relier ».  Il ajoute que, dans ce sens, l’art est une religion laïque avec une fonction sociale qui est de relier les gens entre eux, répondre aux besoins et permettre aux individus de rêver et de s’enchanter.

Il suffit de taper étymologie du mot religion sur un moteur de recherche pour saisir que les choses sont bien loin d'être aussi simples. 

Complexité, ambiguïtés, divergences déjà abordées  sur La Cité des sens

En cette période trouble [décembre 2020] sur les questions de laïcité et de libertés publiques, dans ce moment où la lutte contre la barbarie terroriste est instrumentalisée pour remettre en question un équilibre toujours fragile en matière de liberté de conscience et de séparation des églises (ou ce qui en tient lieu) et de l’État, la formule (rencontrée à quelques reprises sur les réseaux sociaux) : « Ma religion, c'est la culture »  me laisse particulièrement perplexe. 

Une telle expression a-t-elle seulement un sens et faut-il se garder de juger par un « pardonnez leur car ils ne savent pas ce qu'ils disent ! » Fidèle à la vocation de ces pages, au doute méthodique et à l'acceptation de l'incertitude, je m'offre néanmoins à documenter cet énigmatique slogan.

 


 

 

 


 


 

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