Culture, social, livre, lecteur, bibliothèque...
Le cloisonnement entre politique culturelle et politique sociale signifie un enfermement de la culture et une réduction des questions sociales à une «gestion de cas sociaux», de marges, voire à une politique de guichet et d’actions en destination de «publics cibles» peu efficaces et discriminantes. C’est un gaspillage de ressources et de savoirs, certes comme pour tous les autres cloisonnements politiques, mais sans doute plus grave encore, parce que le domaine culturel – l’ensemble des savoirs – conditionne toutes les capacités personnelles et collectives.
Toute plainte sociale est d’abord une plainte culturelle. Les personnes en souffrance ont conscience que leurs savoirs, témoignages et identités sont méprisés. La conséquence en est aussi que leurs libertés sont négligées et que leurs ressources sont gaspillées. Si le «tissage social» est compris, en démocratie, dans le respect des libertés et des savoirs des personnes, et donc des liens qu’elles nouent et dénouent, c’est le culturel qui est au principe de toute dynamique sociale. C’est en ce sens que Alain Touraine proposait de remplacer le paradigme social par le paradigme culturel («Un nouveau paradigme pour comprendre le monde d’aujourd’hui», 2005). La crise rend plus manifeste encore le déficit culturel. Une action sociale qui ne va pas jusqu’aux capacités culturelles, entretient l’assistance et donc la maladie au lieu de la soigner.
Les dimensions culturelles constituent le lien politique. Les politiques culturelles ne peuvent être cloisonnées ; elles ne sont légitimes que dans la mesure où elles sont connectées avec les dimensions culturelles des autres politiques : valorisation des ressources culturelles des territoires, de la diversité culturelle des personnes, des savoirs et des patrimoines ; valorisation des ressources humaines dans l’économie, et en général de toutes les ressources culturelles essentielles dans l’économie, bien au-delà d’une « exception culturelle ».
Le culturel, au sens large, signifie l’entretien, le développement et la circulation des savoirs à travers toute la société et toutes les activités. Lorsque cette communication est atrophiée, c’est toute la politique qui perd son sens, sa force et sa légitimité démocratique, y compris, et peut-être surtout, pour les personnes les plus défavorisées. Si l’ensemble des droits de l’homme constitue une «grammaire» pour toute politique démocratique, le sous-développement des droits culturels et la crainte, spécialement française, à leur endroit, se paie par un déficit démocratique, dont les répercussions se lisent dans tous les domaines. Le culturel est à l’intime de la dignité des personnes, mais aussi du tissu social. Sans le respect des droits culturels, sans le recueil patient de tous les savoirs, les autres droits de l’homme demeurent bien souvent abstraits, quand ils ne servent pas à justifier tout et rien, parfois le pire : le mépris du pauvre.
Patrice Meyer-Bisch, coordonnateur de l’Institut Interdisciplinaire d’Éthique et des Droits de l’Homme, Université de Fribourg (Suisse) et Chaire UNESCO
La Culture, levier du développement économique et social des territoires
EN INTRODUCTION
Dans le secteur des arts et de la culture, l’économie sociale et solidaire fait émerger un espace culturel et artistique d’innovations sociales. Il s’agit d’un secteur composé le plus souvent d’entreprises associatives, mais aussi de coopératives (SCOP, SCIC, CAE*) qui œuvrent pour la construction de lieux citoyens, pour l’accès au savoir et à la culture de tous, pour tous et tout au long de la vie. Ces acteurs revendiquent une économie solidaire où l’échange n’est pas forcément lié à une dimension monétaire. Ancrés sur les territoires, ils participent à un développement économique et social endogène. Plus globalement, ils rappellent combien la culture est un enjeu crucial pour une société en profonde mutation.
L’économie sociale et solidaire développe le plus souvent ses activités culturelles au travers d’associations de taille modeste dans lesquelles, aux côtés des professionnels, les équipes bénévoles sont fortement mobilisées. On y compte de nombreuses initiatives, hybrides dans leur financement et leurs logiques d’actions, en lien avec le territoire et les populations. De façon singulière en Île-de-France, c’est une économie qui côtoie et alimente les industries culturelles et le secteur du tourisme ainsi que les établissements publics (Scènes nationales, Opéras, musées, bibliothèques, etc.).
*SCOP : Société coopérative et participative / SCIC : Société coopérative d’int