La chose artistique (4)

Publié le par Jean-Claude Pompougnac

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L’objet de cette série de notes est de s’interroger sur la place faite à l’artistique (et aux artistes) dans les discours et les pratiques sociales contemporaines. Et de conduire cette enquête en s’intéressant aux choses concrètes, simples et banales que produit l’habitus des acteurs du monde culturel. De dégager la chose artistique de l’aura exorbitante qui l’entoure surtout auprès de tous ceux qui vivent dans son intense clarté (politiques, fonctionnaires, directeurs d’institutions, journalistes, etc.)

 

Publié dans la catégorie La chose artistique.

 

Aujourd’hui, ma modeste contribution aux gender  studies.

 

Tout commence en 1981.

Ce gouvernement compte non pas un mais quarante-quatre ministres de la Culture. Chacun de leurs actes a valeur d’acte de civilisation. Culturelle, l’abolition de la peine de mort ! Culturelle, la réduction du temps de travail ! Culturel, le respect du tiers-monde ! Culturelle, la reconnaissance du droit des travailleurs ! Culturelle, l’affirmation des droits de la femme !

Jack Lang, discours à l’Assemblée nationale (17 novembre 1981), publié dans Cultutre publique Opus 1, page 40 et cité par Mathilde Priolet « Les pratiques culturelles et l’éclipse du politique », La Scène, n° 43, décembre 2006.

L’envolée lyrique était justifiée. Nous passions de l’ombre à la lumière, rien de moins. 15 ans après le caractère éminemment culturel de l’affirmation des droits de la femme bute sur le droit des femmes à exercer des responsabilités dans le domaine de l’art et de la culture, comme le montre le rapport remis par Reine Prat à la DMDTS à l’automne dernier. Rapport dont le nouveau président du Syndeac rappelle l’essentiel, avec une grande pertinence, dans son éditorial de Des mots & Débats n° 22 - décembre 2006 (publié sur le site du Syndeac).

 

 

Masculin - Féminin

 

Les études ont souvent pour destin les étagères du service des archives. Il serait bien que le sort de celle dont nous allons ici parler y échappe. Ou alors après avoir marqué les esprits et suscité interrogations et remises en cause. Si ces quelques lignes peuvent y aider, cet éditorial n'aura pas été inutile. Il est donc un rapport* rédigé par Reine Prat qui analyse la place des femmes dans nos professions. Dire d'abord qu'il est suffisamment bien écrit pour que l'on s'y plonge, suffisamment court pour être lu de bout en bout, suffisamment clair pour être compris, suffisamment chiffré pour être édifiant, suffisamment réaliste pour que ses propositions et pistes de réflexion soient suivies. De son contenu, nous retiendrons cette simple information: 27% des officiers de l'armée française sont des femmes. Pour une femme, il est donc plus facile de diriger un corps d'armée que de diriger un théâtre institutionnel (8%) ou un orchestre (6% des concerts programmés dans nos institutions). L'armée est moins misogyne et ségrégative que le monde artistique. De quoi perturber plus d'un rétif à l'uniforme. Évidemment, ça rend modeste. Claire Lasne**, citée dans ce rapport, le dit à sa façon. "Nous vivons dans un petit monde, construit sur des lois artificielles, et qui ne correspond en rien à la population à qui nous sommes censés nous adresser". Le propos peut paraître entier et par trop exagéré. Ce n'est pas le constat implacable mis en évidence par ce rapport qui va lui donner tort. La femme est peut-être l'avenir de l'homme. Manifestement, pour le spectacle vivant, il y faudra un peu de temps et beaucoup de volonté.

Francis Peduzzi

*Il est intitulé Mission EgalitéS, Pour une plus grande et une meilleure visibilité des diverses composantes de la population française dans le secteur du spectacle vivant, Pour l'égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation. Le titre est long mais a l'avantage de bien expliciter son sujet. Ce rapport est le téléchargeable en marge.

** directrice du centre dramatique régional de Poitou-Charentes, lettre du 14 décembre 2005, extrait

 

 

 

 

Alors ? Exagéré le propos de Claire Lasne ? « … un petit monde, construit sur des lois artificielles » n’est-ce pas une autre manière de parler des us et coutumes, de l’habitus du monde artistique, un signe en direction de la chose artistique?

Mais il y a plus concret encore.

Dans sa livraison de septembre 2006, La Scène a justement publié un dossier « La Culture au masculin » à partir de ce même rapport de Reine Prat

A l’appui de l’analyse d’Anne Quentin, en encadré, un témoignage « malheureusement anonyme car il est impossible de dénoncer encore aujourd’hui les auteurs de telles pratiques qui bien entendu ne se laissent jamais aller à de tels propos publiquement ».

Lors d’une fête de fin de saison en Ile-de-France, réunissant directeurs de lieux, compagnies et acteurs culturels, tous un verre à la main, l’occasion de se rencontrer, de prendre des contacts, de discuter. Je me retrouve nez à nez avec le directeur d’un CDN dans lequel j’ai travaillé deux mois auparavant. On se salue. Je lui fait part de mon intention de l’appeler à  la rentrée, pour prendre rendez-vous afin de lui parler de mon projet en cours (une piève à moi que je veux monter). Il recule, gêné, me dit qu’il a beaucoup de dossiers à gérer. J’insiste un peu en lui disant que tout cela je le sais, mais que venant de travailler dans le lieu qu’il dirige (un lieu public) il me semble logique et légitime de lui demander ne serait-ce qu’un rendez-vous. La réponse arrive : "Je sais que tu as un beau cul mais je ne connais pas ton travail ». Ce qui s’est passé dans ma tête, dans mon corps, dans mon cœur à ce moment-là est difficile à décrire. Un coup de poignard. La honte aussi. Honte d’avoir été déshabillée sans l’avoir choisi, de voir mon cul, ni, posé sur la table, comme dit Genet – oui, les mots ont ce pouvoir-là, de faire exister les choses. Il y a la colère aussi et le chagrin. Je me souviens que mes mâchoires se sont serrées. J’ai répondu sèchement, une pauvre réponse raisonnable : "Eh bien justement, tu peux lire.Il y a une pièce et un dossier ? Au moins tu connaîtras mon travail ».

Choquée, je suis aussitôt allée voir les copains. Je leur raconte la scène, à chaud, de plus en plus outrée. Au-delà de ma blessure de femme, je répète : « C’est un directeur de lieu public qui parle comme cela à une artiste défendant son travail ». Les copains compatissent, sans plus. Beaucoup me disent : « ben oui, c’est bien connu dans le métier, on sait qu’il est comme ça, un peu libidineux ». Et la fête continue.

 

 

 

L’occasion rêvée de conclure comme Alexandre Vialatte « Et c’est ainsi qu’Allah est grand » !

Arcadi_77_15

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