A ta santé, Siegfried !

Publié le par Jean-Claude Pompougnac

1118997811_siegfried20kessler_2

Ceux qui n’ont pas eu la chance de l’écouter accompagner ou improviser ne comprendront probablement pas ma grande tristesse.

Article paru dans le Midi Libre :

Siegfried Kessler, l'imprévisible dernière note

 

Au bout du ponton F, « F comme fa dièse », aimait-il à dire. Depuis plus de vingt ans, Siegfried Kessler, pianiste de jazz hors norme, s'était installé, là, à La Grande-Motte. A bord d'un ancien bateau de course transformé en appartement.

Ce « fou du grand large, tempétueux, ne naviguant que par grand vent » a été retrouvé inanimé par un passant, lundi dans la nuit, dans l'eau glaciale du port grand-mottois. Quand les secours sont arrivés sur place, il était trop tard. La mort remontait déjà à plusieurs heures. Selon les premières constatations de la gendarmerie, l'alcool pourrait être la cause de cet accident. Siegfried Kessler avait 71 ans.

De sa longue carrière, on retient surtout son goût immodéré pour les improvisations. En quelques accords, ce jazzman des cimes était capable d'emmener l'auditeur au bord de l'asphyxie comme dans les plus profondes respirations de l'introspection. « Il ne faut jamais perdre le goût de l'esthétique, une certaine élégance et la liberté », confiait-il il y a trois ans. Juste avant un mémorable concert donné au Jam, en compagnie du saxophoniste Archie Shepp. Son complice, son double, l'une de ses « stimulations » comme pouvaient l'être, pour lui, Thelonious Monk, Walter Bishop ou encore John Coltrane.

Les deux hommes se sont rencontrés à la fin des années 60. Le musicien américain est en tournée en Europe. Dans un club parisien, un pianiste l'accueille en jouant les accords de sa mythique composition, Le matin des Noirs. Ce pianiste, c'est Siegfried Kessler. En quarante ans, leur complicité ne sera jamais démentie. Comme l'atteste leur performance, en 2003, Live in Jam, concert enregistré pour la postérité.

Entre deux bords, le pianiste aimait à fréquenter cette salle ou à y jouer. « J'adore, car il y a l'odeur du jazz. C'est un lieu qui marche à la passion, pas pour le fric. » Le public ne pouvait pas rester insensible à sa silhouette de corsaire des mers du Sud.

A l'inverse de Novecento, le personnage pianiste de théâtre d'Alessandro Barrico ayant toujours vécu sur un paquebot, « la terre, c'est un bateau trop grand pour moi. C'est un trop long voyage . Pardonnez-moi. Mais je ne descendrai pas. » Siegfried Kessler s'en est allé après y avoir goûté. A pleines dents.


Christophe GAYRAUD

 

C’est l’occasion de surveiller le site du ministère de la culture sur lequel les ministres successifs égrènent les communiqués nécrologiques afin de voir si l’un des plus grands pianistes de jazz ayant exercé dans notre douce France aura ou non les honneurs des gardiens du temple de l’excellence artistique.

(En vérité, je m’en fous).

 

 

Publié dans Archives

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article